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"Aux origines de la dette publique dans l’Europe méditerranéenne (XIVe-XVe siècles)", conférence de Pere Verdes Pijuan organisée par le CTHDIP
"Aux origines de la dette publique dans l’Europe méditerranéenne (XIVe-XVe siècles)", conférence de Pere Verdes Pijuan organisée par le CTHDIP
le 23 janvier 2023
Présentation de la conférence
La dette publique est un sujet qui s’inscrit généralement dans une question plus vaste, celle des origines de ce que l’on appelle « État moderne », et plus particulièrement celle de l’évolution des structures fiscales et financières qui l’ont rendu possible. Dans les années 1970, les origines de l’État deviennent un sujet d’étude privilégié par les chercheurs de différentes sciences humaines et sociales (sociologues, économistes, historiens…) puis, à partir de la décennie 1980, l’analyse de la fiscalité acquiert un rôle central au sein de cette ligne de recherche.
Une théorie, qui relève surtout de la « New Fiscal History », et inspirée des thèses du célèbre économiste Joseph A. Schumpeter, aura permis de distinguer quatre « grands types » de régime fiscal dans l’évolution qui aboutira à l’État actuel : 1) le Tribute State, principalement alimenté par le butin et l’extorsion ; 2) le Domain State, avant tout basé sur les revenus du domaine patrimonial ou seigneurial du prince ; 3) le Tax State, capable, déjà, de réunir plus de 50% de ses rentrées par l’impôt général, bien que de type extraordinaire ; 4) et le Fiscal State, dont les impôts, désormais prédominants et ordinaires, garantissent au gouvernement un accès pratiquement illimité au crédit à long terme.
Pourtant, la dette publique s’avère fondamentale pour comprendre la consolidation de l’État moderne et, selon de nombreux économistes et historiens, elle l’est également concernant l’essor politique et économique de l’Occident. Dans ce sens, il faut donner une importance toute particulière à ladite « révolution financière » qui survient en Angleterre à la fin du XVIIe siècle, suite à la Glorieuse Révolution et à l’accession au trône de Guillaume III d’Orange. La création de nouveaux titres de dette publique et de la banque d’Angleterre, de même que l’émergence consécutive d’un marché secondaire de titres sont en effet des aspects centraux de cette révolution, qui propulsera l’Angleterre au rang de puissance mondiale au XIXe siècle. Y aura également contribué l’instauration d’une monarchie constitutionnelle au sein de laquelle le contrôle parlementaire sur la couronne offre une sécurité juridique et une confiance suffisantes aux investisseurs pour qu’ils prêtent leur argent à des types d’intérêt réduits.
Telle serait, dans les grandes lignes, l’origine du concept de « révolution financière », que l’on a tenté d’appliquer à d’autres moments, aussi bien postérieurs (en France, aux États-Unis, au Japon…), qu’antérieurs à la Glorieuse Révolution. Pour ce qui est des précédents, le plus connu reste sans doute celui de la République des Provinces-Unies qui voit le jour en 1579, et que l’on considère comme l’antécédent direct de la révolution anglaise. Toutefois, de nombreux historiens ont également cherché les racines de ce phénomène en remontant à l’époque médiévale, que ce soit de manière implicite ou explicite.
C’est dans ce contexte historiographique qu’il faut resituer la dette publique documentée à la fin du Moyen Âge dans la couronne d’Aragon, une dette qui, comme nous le verrons, présente un cas particulièrement singulier et relativement méconnu. La couronne d’Aragon est alors une confédération de territoires placés sous l’autorité d’un même monarque, tout en jouissant chacun d’une autonomie politique considérable. Cet ensemble était composé, depuis le XIIIe siècle, par les royaumes d’Aragon, de Valence et de Majorque, et par la principauté de Catalogne. À ces territoires de la péninsule Ibérique vont s’ajouter au cours des XIVe et XVe siècles des îles, la Sardaigne et la Corse, la Sicile, ainsi que le royaume de Naples. Il faut cependant souligner que cette expansion territoriale considérable ne saurait être bien comprise sans mentionner la dette publique, puisque c’est elle qui aura permis à un état féodal totalement décentralisé et à une monarchie disposant de faibles ressources de concurrencer les grandes puissances de l'époque, telles que la dynastie angevine, Gênes ou encore la Castille. Ma conférence consistera donc à exposer les principales caractéristiques de cette dette consolidée, afin de juger s’il s’est agi, en comparaison avec d’autres cas contemporains, d’un phénomène équivalent ou similaire à ce que l’on a identifié comme « révolution financière ».