Depuis plusieurs années, les questions relatives aux progrès d’un droit pénal extraordinaire, dérivant vers une possible métamorphose de la justice criminelle, passionnent la doctrine et les praticiens. Sur fond de « lutte » anti-terroriste et, plus largement, de répression d’actes liés à des formes d’expression et/ou de violences politiques, l’équilibre sans cesse réévalué entre sûreté individuelle et collective d’un côté, et libertés personnelles et sociales de l’autre, se trouve à nouveau sous le feu de l’évolution des formes extraordinaires de la criminalité et des sensibilités contemporaines. Droit pénal de l’ennemi, dangerosité, mesures de sûreté, pour ne citer qu’eux, semblent bouleverser les assises les plus anciennes de la justice criminelle – médiévales et canoniques – comme ses principes les plus classiques, reformulés à partir du XVIIIe siècle et tout au long de la période contemporaine. Face à des notions émergentes et envahissantes, face, également, à l’évolution récente de la procédure, la faute, la culpabilité, la présomption d’innocence, le sens et l’exécution des peines, les frontières même du procès sont frontalement ou discrètement remis en cause.
De nombreux travaux ont été consacrés à ces questions au cours des dernières années. Le droit, la science politique, l’histoire, la sociologie ont été mobilisés pour proposer des approches nouvelles et des lectures prospectives de ces transformations profondes. Le colloque organisé par le CTHDIP les 30 et 31 mars prochains s’inscrit dans la trame de ces interrogations à travers un angle particulier. Interdisciplinaire, il souhaite concentrer la réflexion sur les voies de construction de la justice pénale extraordinaire, voies historiques et contemporaines, mises en dialogue. Il vise plus spécialement, parmi elles, à explorer la question de l’équilibre global police-justice, dans une appréhension nécessairement élargie de cette dernière. La juridictionnalisation croissante des phases d’enquête et d’exécution des peines ainsi que les influences réciproques entre justice et police sur l’évolution globale de la justice d’exception imposent en effet d’appréhender l’ensemble d’un équilibre aussi bien substantiel que procédural qui ne peut se limiter aux seules bornes de la phase judiciaire stricto sensu.
Quatre axes principaux seront envisagés pour observer les discours (axes 1 et 2) et les pratiques (axes 3 et 4) :
1 - Nommer, dire, classer. Prenant le parti de considérer que tout commence par des mots, par la façon de nommer les choses, les actes et les acteurs, nous nous intéresserons aux mots du pouvoir, aux mots de la loi, à ceux de la presse, de la rue, de la doctrine, des juges, des accusés, des victimes. Cela peut non seulement concerner les mots utilisés, prononcés, publiés, mais aussi leur réception, aussi bien judiciaire que politique ou littéraire. De la rhétorique de l’état de guerre à la « fabrication des monstres », de la notion de justice dérogatoire à celle d’extraordinaire ou d’exception, l’idée est de comprendre les enjeux des actes de nomination et de classification, ainsi que leur constitution historique.
2 - Ambitions, attentes, justifications de l’extraordinaire. Le discours de l’exception porte traditionnellement sur la justice. On parle ainsi volontiers de « justice d’exception », de « procédure dérogatoire », de « juridiction extraordinaire ». Englobe-t-il aussi la police et les activités parajudiciaires ou préjudiciaires dans leur organisation, leurs fonctions, leurs rôles ? Utilise-t-il les mêmes ressorts que pour la justice d’exception ? Comment leurs rôles respectifs et leurs relations sont-ils définis, réévalués ? Les ambitions diffèrent-elles de celles de la justice ordinaire ? Sont-elles de même nature ? L’idée ici est de s’interroger sur l’inclusion d’une « police d’exception » dans le champ de la justice extraordinaire et de saisir les rôles eux-mêmes extraordinaires assignés à chacune d’entre elles.
3 - L’extraordinaire assumé. Passant des discours aux pratiques, cet axe invite à s’interroger sur la place effective des éléments extraordinaires dans l’organisation judiciaire et policière déployée contre les crimes et violences politiques. Ici, la dérogation est assumée, revendiquée et non dissimulée. Il faut donc mettre en lumière cette association de long terme (crime politique, police, évolutions procédurales judiciaires et extrajudiciaires) et s’interroger sur d’éventuels glissements du droit pénal vers les pratiques administratives. Sur le fond, cette question soulève aussi bien celle du partage des rôles entre justice et administration (au sens large) que celle des techniques du contrôle social et de l’avènement de la surveillance de masse.
4 - L’exception dissimulée. Ici, au-delà de l’exception qui sert à contourner l’ordinaire (point précédent), l’accent peut être mis sur une exception destinée à le façonner et à introduire durablement dans le système répressif des éléments extraordinaires dont on généralise l’usage ou la destination. La dissimulation se réalise alors par un effet de dilution et de banalisation qui peut emprunter plusieurs voies. On peut ainsi envisager la normalisation de l’extraordinaire, qui consiste à intégrer l’exception dans un état commun du droit et des institutions. Mais, la banalisation peut aussi tenir, hors de tout processus normatif, à des pratiques, des choix de qualifications ou de procédures destinés à jouer des différents états du droit en concurrence, ordinaire et extraordinaire. Le recours à l’ordinaire, en effet, n’est pas toujours une protection des accusés, comme en témoigne les lois scélérates et la répression des anarchistes devant les cours d’assises ordinaires à la fin du XIXe siècle. A l’inverse, l’état d’urgence peut être utilisé à des fins de contrôle social éloignées des motifs premiers de son établissement.
Jean-Christophe Gaven
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